Friday, June 6, 2008

Un Acadien en Chine

Je me promenais dans le métro de Shanghai samedi matin après avoir enseigné un cours d’Anglais. Je me suis arrêté quelques secondes pour parler à une vendeuse de dictionnaires électroniques et c’est ainsi que je me suis fais approché par un curieux personnage. Un homme d’une trentaine d’années, me regardant intensément, le sourire sur les lèvres. Je suis en train de parler à la vendeuse, mais cela ne semble pas le gêner du tout puisqu’il s’avance vers moi et m’adresse tout de suite la parole : « 你是哪国人? ». Pour tous ceux et celles qui ne comprennent pas le mandarin, il vient de me poser la question la plus souvent posée aux étrangers en Chine «De quel pays viens-tu?».

Je lui réponds que je suis Canadien et il continue de sourire. La vendeuse voyant que son client est à la veille de partir dit au nouveau venu de s’en aller, mais il ne bouge point. Je finis par ne pas acheter de dictionnaire électronique car les dictionnaires papier me plaisent beaucoup plus. Aussitôt l’opportunité arrivée, le jeune homme revient me parler : « J’étais athlète aux Jeux olympiques spéciaux, j’ai terminé deuxième à la course.» me lance-t-il fièrement. Et tiens, voilà que je commence à comprendre ma situation. J’essaye de lui parler poliment tout en continuant de marcher dans les longs couloirs du métro : «Tu dois courir vite, qui était le premier?». «Un Américain, il courait très vite.» me répond-t-il sans perdre le sourire. Après un court moment de silence, il me demande tout normalement : «Toi, tu participais à quelle épreuve?». C’est drôle comment cette question peut nous ruiner l’égo.

Ce n’est pas la première fois que les gens se mélangent au sujet de qui je suis. Les Acadiens ne sont vraiment pas nombreux et nous ne sommes pas très connus. Les Français me confondent pour un Québécois, les Québécois me prennent pour un Franco- ontarien, les Américains pour un « Canuck » et les Européens pour un Américain. Les Chinois sont un peu perdu et ne savent pas que les gens parlent français au Canada. Au début, ils croyaient que j’étais Suédois, Allemand, Français, Anglais, Espagnol, Américain ou Australien, mais maintenant ils pensent que je suis Québécois. Je suis satisfait et j’accepte d’être Québécois car je ne veux pas vraiment leur expliquer 400 ans d’histoire canadienne. Une chose est certaine par contre, je suis né à Montréal.

Les Chinois eux n’ont pas de problèmes, tout le monde connaît la Chine. Ils viennent bien d’une région et parlent un dialecte, mais beaucoup de propagande communiste a quelque peu réduit les régionalismes. Il y a les danses, les chansons traditionnelles et les chansons pop. La télévision est chinoise, les marques sont chinoises, les gens sont Chinois et les Blancs sont étrangers. Être Chinois englobe tout, tandis qu’être Acadien est une lutte culturelle.

J’aime bien la musique britanno-américaine, mais j’écoute aussi de la musique de la France et du Québec. À l’école on nous forçait à écouter 1755 et Angèle Arsenault, heureusement il y avait les Païens. Même chose pour les films et les livres, on lisait Petit Jean en cinquième année, mais Victor Hugo et Michel Tremblay par après, pour ne pas parler d’Hemingway et de Kerouac. J’ai eu la chance de découvrir Acadie Rock dans les vieux livres de mes parents, ils ne nous en ont jamais parlé à l’école. Je pense qu’il est impossible d’être 100% Acadien comme il est possible d’être 100%Chinois, Américain, Français, ou Brésilien.

Je rencontre beaucoup de personnes d’origine chinoise qui ont grandi ailleurs, en France, en Indonésie, au Canada. Ils reviennent et ils retrouvent une partie d’eux-mêmes, ils se disaient Américains mais se disent maintenant mixte. Ils ne sont plus Français, ils se disent d’origine chinoise. J’ai aussi rencontré une Acadienne en ville, elle vient de Moncton. Elle ne parle plus beaucoup le français, elle dit : «Les Français rient de mon accent, je suis right plus confortable en anglais.». Loin de la maison, il est difficile d’être Acadien. À Montréal c’est possible. En Alberta aussi pour un moment, mais en Chine, nous sommes isolés et lentement assimilés.

Mais nous ne devenons pas Chinois, il est impossible pour un Blanc de devenir Chinois. Même ceux et celles qui vivent ici depuis plus de 10 ans ne sont pas Chinois, ils sont encore étranges et étrangers. Un Acadien en Chine devient Canadien, en fait beaucoup d’expatriés ne s’associent plus à aucun pays. Je suis Nord-Américain, mais je ne suis pas Américain, je parle français mais je ne suis pas Français, ni Québécois, je suis à mi-chemin entre les États-Unis et l’Europe. Ce n’est pas une mauvaise chose, tout le monde aime bien les Acadiens. Les Français nous aiment parce que nous parlons Français; les Américains parce que nous parlons l’Anglais, «le bon anglais»; les Européens parce que nous ne sommes pas Américains, ni Australiens, ni Anglais, ni Français, tout le monde déteste les Français.

Les Chinois nous aiment, puisqu’ils aiment le Canada. Ils rêvent de l’Amérique, ils rêvent des grands espaces, des gros salaires et de la possibilité de vivre en communauté chinoise à Toronto ou à Vancouver. Les Chinois aiment le Canada parce que Mao Zedong leur a dit de propager l’esprit de Norman Bethune, un médecin Canadien qui a combattu à côté des communistes en Espagne et en Chine. Les Chinois aiment le Canada parce que Dashan, l’un des plus grands noms de la télévision chinoise, est un blanc, originaire de Vancouver, qui parle le mandarin parfaitement.

Mais la majorité des Chinois ne connaissent pas l’Acadie, tout comme ils ne savent pas où au juste se trouve l’Autriche et que l’Afrique n’est pas un seul pays. Pourtant, cet été en revenant à Moncton et en allant à Caraquet, je me suis senti bien dans ma peau, j’étais à la maison.

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